Nasser Larguet

Nasser Larguet, passeur (d’âme) décisif

Dans le monde pour le moins aseptisé du football, converser avec Nasser Larguet s’avère tout à la fois enrichissant et rassérénant. L’homme n’est pas des plus connus, il a pourtant sa petite réputation chez les initiés. Son savoir-faire (reconnu) l’a en tout cas propulsé à la tête du centre de formation du plus fada des clubs français, l’Olympique de Marseille.

« Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je voulais bosser avec les jeunes ou dans le football. Je suis de nature à vivre l’instant présent. On m’a un jour fait une proposition, j’y suis allé. Question de feeling. » C’est ainsi que le natif de Sidi Slimane, dans la région de Rabat-Salé-Kénitra, débute le récit de son parcours peu conventionnel entamé dans le paisible village de Thury-Harcourt dans le Calvados.

« J’y ai passé trois années exceptionnelles, se souvient l’intéressé avec émotion, je m’occupais des débutants jusqu’à l’équipe première. J’ai appris mon métier là-bas. Les dirigeants m’ont facilité la vie car ils m’ont également trouvé un poste d’enseignant. J’ai été professeur de mathématiques, de Sciences naturelles et d’EPS dans un collège pendant 2 ans. Je ne l’oublierai jamais car c’est grâce à ces gens que j’ai pu me construire. » Ainsi bascula le destin d’un pédagogue qui s’ignorait alors.

Débarqué à 19 ans en France, baccalauréat en poche, Nasser Larguet se retrouve par hasard en Normandie, « une terre d’accueil exceptionnelle », pour y poursuivre ses études. Dépaysement ? Mal du pays ? Pas vraiment. Et pour cause : « Toute ma scolarité a été effectuée dans des établissements francophones. C’était là le souhait de mon père. La France ne m’était donc pas inconnue, j’ai baigné dans cette double culture. Et puis, peu importe d’où vous venez, il existe certaines valeurs universelles : l’importance accordée au travail, à la famille, au respect de son prochain etc. »

Un message martelé quatre décennies durant à travers l’Hexagone – de Rouen à Marseille, en passant par Cannes, Caen, Le Havre ou Strasbourg – auprès de chaque génération côtoyée. Plus qu’un discours, une expérience de vie qui ne peut qu’avoir un écho particulier chez nombre de gamins nés de ce côté-ci de la Méditerranée tout en ayant l’esprit, voire le cœur, en face. Ce qui n’est pas sans parfois causer quelques paradoxes.

Je n’aime pas trop parler des différences. Je préfère évoquer ce qui nous rapproche.

« Ces jeunes sont souvent perdus car ils n’ont pas de réel vécu aux deux endroits comme ce fut mon cas, analyse le désormais sexagénaire. Ils ne connaissent le Maghreb qu’à travers les vacances qu’ils y passent et là-bas, c’est malheureux, mais ils ne sont souvent pas considérés. Ici, en France, il y a en revanche un phénomène communautaire, assimilable à une forme de protection. » Un propos – à la frontière du « blablatage » (sic) – maintes fois entendu. Seulement, Nasser Larguet n’est pas du genre à se contenter de formules toutes faites et il s’empresse de préciser : « Je n’aime pas trop parler des différences. Je préfère évoquer ce qui nous rapproche. Peu importe d’où nous venons, nous avons un socle commun et c’est ça qui importe ! Marocain, Algérien, Brésilien, Français… Tout ça, ce ne sont que des étiquettes… »

C’est au détour de ce genre de réflexions que se profile véritablement l’humanisme de ce personnage tout en rondeur mais jamais lisse. Comment dès lors ne pas le croire lorsque celui qui fut à également à la tête de la Direction technique nationale (DTN) du Maroc entre 2014 et 2019 affirme avoir « refusé le banc de clubs professionnels » pour continuer à s’épanouir dans cette fonction de formateur. Avec bien moins l’ambition de dénicher la future star du ballon rond que de « construire des hommes ».

C’est en tout cas l’un des objectifs qu’il s’est fixé : « Si un jeune signe pro, tant mieux. S’il n’y arrive pas, il est important qu’il sorte de cette aventure non pas avec le sentiment d’avoir échoué mais avec celui d’avoir vécu une expérience qui lui servira pour la suite. » Pas une mince affaire dans un monde footballistique qui a beaucoup changé. Il le reconnaît aisément : « A mes débuts, je sentais que les joueurs étaient impliqués dans un projet collectif dans lequel l’individu allait s’épanouir. Aujourd’hui, à l’image de la société, l’individualisme a pris le dessus et le rapport à l’argent a changé les mentalités. Certains veulent tout alors qu’ils n’ont encore rien prouvé. »

Donnons à ces jeunes l’importance qui leur est due

Pas de quoi pour autant décourager Nasser Larguet. La passion refait vite surface lorsqu’il évoque ces « 90 minutes qui sont l’émanation de ce que l’on vit chaque jour : ce mélange d’entraide, de concurrence, d’efforts partagés, de souffrance et de sacrifices » qui fait encore du sport une véritable école de la vie. Ce qui est vrai en France l’est évidemment au Maroc et l’une de ses plus grandes fiertés réside d’ailleurs dans la création de l’Académie Mohammed VI, sous l’impulsion d’un souverain que l’ancien DTN n’hésite pas à qualifier de « visionnaire » de par sa volonté de pousser à l’émergence de talents locaux.

« Ce projet je l’ai fait de A à Z, des infrastructures au recrutement des gamins, assume-t-il pleinement, et nous avons démontré que nous étions capables de faire aussi bien qu’en Europe. Entre les Coupes d’Afrique des nations et la Coupe du monde, trois joueurs issus de l’Académie ont déjà intégré la sélection. Le travail fait en amont nous a également permis de gagner le Championnat d’Afrique des nations qui réunit uniquement les joueurs évoluant sur le continent. »

Et ce formateur dans l’âme de s’enthousiasmer pour ce Maghreb qui regorgerait selon lui d’une « richesse extraordinaire » de par sa belle jeunesse. « Donnons du temps à ces jeunes-là, exhorte t-il. Donnons leur l’importance qui leur est due. Ils doivent être le socle des succès à venir. »

Parole d’expert.

Hervé Pugi

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