Elections aux Comores : une diaspora sans voix

Dans un pays d’un peu plus de 820 millions d’habitants (source : Banque mondiale, 2021) l’heure du vote a sonné. Ce 14 janvier 2024, les habitants de l’archipel sont appelés à se prononcer sur le candidat apte à accéder à l’investiture suprême. Ce qui ne sera pas le cas de la diaspora comorienne qui n’aura pas voix au chapitre pour l’occasion. Normal pour les uns, dur à avaler pour les autres. Explication.

Dans le long périple qui conduit vers l’océan Indien, ils sont plusieurs dizaines à avoir quitté cet autre territoire comorien qu’est Marseille pour rallier le « pays ». Leur pays. Une terre qui – pour la plupart – les a vu naître et/ou ils gardent des attaches familiales et amicales aussi certaines qu’inexpugnables. S’ils se lancent dans près de 15 de vol(s) parsemé(s) d’escales, c’est pour faire entendre une voix, la leur, lors de la Présidentielle de janvier 2024. Contrairement à ce que pratiquent nombre de pays dans le monde, l’expatrié, l’immigré ou encore le binational se trouve démuni dans son lointain exil lors des grands rendez-vous électoraux. « Nous venons généralement pour le mois de Ramadan », explique une quinquagénaire pourtant installée à Marseille depuis de longues années, « mais il était important pour mon mari et moi de participer à ce vote ».

Reconnus mais inconnus

Parler de la diaspora comorienne, c’est évoquer une population de 200.000 à 300.000 personnes à travers le monde, certains avancent même le chiffre de 400.000, dont 80% seraient basés en France. Ces estimations pour le moins fluctuantes sont au cœur même de la problématique de l’Etat comorien. Ces concitoyens de l’étranger, il les reconnaît mais semble ne pas les connaitre vraiment. « Il y a tout un travail de recensement à faire », avoue Mohamed Issimaïla, conseiller spécial du président Azali, pour qui il est « difficile de s’y retrouver » entre les Comoriens effectivement immigrés, les binationaux et les jeunes générations nées loin de l’archipel.

A ce sujet, celui qui est également porte-parole du chef de l’Etat affirme sans ambages que « ces gens-là ne sont pas ici, ils ne connaissent pas ou peu les conditions de vie, ici, au quotidien. Ils s’imaginent qu’avec un peu de bonne volonté on pourrait avoir aux Comores la vie qu’ils mènent en France. Ils ne perçoivent pas les réalités du pays ». Une incompréhension qui, selon l’intéressé, pourrait « créer un déséquilibre » au moment de passer devant les urnes entre les aspirations des uns si loin et les besoins des autres si proche.

Une prise de position particulièrement claire qui pourrait surprendre tant celle-ci ouvre la voie à la critique. Il n’en fallait d’abord pas plus pour que certains voient là une manigance d’un pouvoir qui craindrait ces lointains parents.

20 à 25% du PIB national

Voilà qui fait ricaner Mohamed Issimaïla qui dénonce une instrumentalisation de plus à l’encontre de son Président. « Il y a eu des manifestations de colère au sein de la diaspora en France, que ce soit à Marseille ou Paris », explique l’intervenant, « mais combien étaient-ils ? Il m’a été rapporté qu’il y avait tout au plus 3.000 personnes réunies ces jours-là ! C’est donc loin d’être une majorité. » Vouloir transformer la diaspora en une force d’opposition latente est un raccourci bien trop facile en vérité. Ce que notre protagoniste reconnaît volontiers : « il y a sûrement autant de soutiens à l’opposition qu’il y en a envers le chef de l’Etat. »

Reste que cette diaspora contribuerait chaque année à hauteur de 20 à 25% du PIB national. Une manne plutôt appréciable dans un pays en quête de fonds et de liquidités. Problème, si cet argent frais participe à renforcer la consommation intérieure, elle peine à créer des richesses et de l’emploi via des investissements dans l’économie réelle. Là encore, pour parvenir à réorienter ces transferts de fond, encore faudrait-il savoir à qui l’on a à affaire. Cette question du recensement, centrale, encore et toujours…

De fait, Mohamed Issimaïla ne ferme pas la porte à une telle démarche allant jusqu’à affirmer que l’Etat « crée les moyens » pour parvenir à solutionner cette problématique. « Cela prendra du temps », prévient-il sans se hasarder sur un quelconque calendrier. Il le faudra bien afin de répondre pleinement à l’article 13 (« De l’inscription à l’extérieur de l’Union des Comores ») du code électoral promulgué au mois de mars 2023, dans la foulée de la réforme constitutionnelle de juillet 2018, qui énonce qu’ « il est crée au niveau de chaque représentation diplomatique ou consulaire une liste électorale correspondant à un ou plusieurs bureaux de vote ». Un texte qui, comme souvent dans le monde législatif, apparaît suffisamment clair aux uns mais assez vague aux autres pour l’interpréter différemment.

Assurément une affaire à suivre..

Hervé Pugi

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